
DOSSIER : « Le Chiapas au milieu d’une spirale de violence armée et criminelle »
28/05/2025
Activités du SIPAZ (mi-février à mi-mai 2025)
28/05/2025L a situation au Chiapas est marquée par de graves violations des droits humains. Ces dernières années, l’état a fait face à une augmentation alarmante des déplacements forcés, des disparitions, de la présence de groupes armés, du trafic de drogue et d’êtres humains, et de la violence politique.
Bien que le gouvernement d’Eduardo Ramírez Aguilar (ERA) ait présenté le Chiapas comme « le deuxième état le plus sûr du pays » après ses 100 premiers jours au pouvoir, de nombreux chiapanèques vivent une réalité différente. Avec la nouvelle stratégie de sécurité, dont la Force de Réaction Immédiate Pakal (FRIP) est un élément central, certains progrès ont été réalisés, comme la réduction des confrontations armées, la découverte de fosses clandestines, la levée de barrages routiers et l’arrestation de trafiquants de drogue présumés. Toutefois, des doutes persistent en raison de l’absence d’arrestations de chefs criminels et de poursuites judiciaires à l’encontre de l’ancien gouverneur Rutilio Escandón et d’autres anciens responsables de la sécurité. En outre, des violations des droits humains ont été documentées au cours des opérations de la FRIP, y compris des allégations de détentions arbitraires et de torture.
Dans ce contexte, ceux qui luttent contre ces violations et défendent la justice, l’égalité et la paix sont les défenseur.e.s des droits humains, tels que les activistes, les membres d’organisations de la société civile, les journalistes, les collectifs, les communautés organisées et les prêtres. Selon l’Organisation des Nations unies (ONU), les défenseure.s des droits humains protègent divers droits tels que : « […] le droit à la vie, à la nourriture et à l’eau, au meilleur état de santé possible, à un logement convenable, à un nom et à une nationalité, à l’éducation, à la liberté de circulation et à la non-discrimination, […] les droits des femmes, des enfants, des populations autochtones, des réfugiés et des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, ainsi que des minorités nationales, linguistiques ou sexuelles ».
Défendre les droits de l’homme dans des contextes de violence comporte un risque élevé. Le Réseau TDT a recensé 92 exécutions extrajudiciaires de défenseur.e.s des droits de l’homme au cours des six années de mandat de l’ancien président Andrés Manuel López Obrador. « La plupart de ces cas se sont produits dans l’état du Oaxaca, puis dans celui du Chiapas. La plupart des victimes étaient impliquées dans la défense de la terre et du territoire, de l’environnement et de l’autodétermination des peuples indigènes ».
Face à cette réalité, les organisations de la société civile du Chiapas ont décidé de créer un outil pour documenter, rendre visible et systématiser ces attaques : l’Observatoire des défenseur.e.s des droits humains du Chiapas – “El Obse”. Il s’agit d’une plate-forme promue par 20 organisations travaillant dans différentes régions de l’état. Parmi elles figurent les centres des droits humains Fray Bartolomé de las Casas, Fray Matías, Fray Ignacio Barona et Digna Ochoa, ainsi que Tsomanotik, Colibres, Enlace, IMDEC, Serapaz, Sipaz, Sursiendo, Swefor, Tzome Ixuk et Voces Mesoamericanas.
La collaboration entre ces organisations a débuté en 2023 par des processus de formation et des réunions d’échange, jusqu’à ce que la plate-forme soit lancée le 7 mars 2025 lors d’un événement public à San Cristóbal de Las Casas.
Depuis janvier 2024, El Obse a enregistré 107 actes violents commis contre des défenseur.e.s des droits humains. En plus de donner un suivi aux agressions les plus fréquentes, son site web offre des informations sur le profil des personnes attaquées – comme leur sexe, leur profession et les droits qu’elles défendent – ainsi qu’une cartographie des municipalités les plus touchées, entre autres.
La collecte et la validation des données sont effectuées avec soin afin de garantir la sécurité des personnes attaquées. Ce n’est que lorsque les cas n’impliquent pas de risques supplémentaires pour les défenseur.e.s qu’ils sont publiés sur le web de manière accessible et géoréférencée.
Lors du lancement, Ximena Ramos, représentante du Bureau du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme au Mexique, a souligné le travail des défenseur.e.s des droits humains dans des contextes à haut risque tels que le Chiapas, en insistant sur la responsabilité de l’État mexicain de garantir leur protection et leur sécurité, conformément ses engagements internationaux en matière de droits de l’homme.
Dans son premier rapport, El Obse a averti que 2024 a été l’année la plus violente du processus électoral au Mexique, en particulier au Chiapas. Il a noté que 15 personnes liées au processus politique ont été assassinées dans cet état et que 515 ont renoncé à leur candidature par crainte de la violence. En outre, 108 bureaux de vote n’ont pas pu être installés pour des raisons de sécurité.
La violence a également entraîné le déplacement forcé d’au moins 2 300 personnes, principalement dans les municipalités de Chicomuselo, Socoltenango et La Concordia. En ce qui concerne les disparitions, 568 personnes ont été portées disparues en 2024, contre 320 en 2023, soit une augmentation de 77 %. Cette tendance est en augmentation depuis 2020, et continue d’être minimisée ou ignorée par les autorités.
L’Obse a identifié différentes formes d’agression visant à entraver le travail des défenseur.e.s des droits humains : intimidation, surveillance, diffamation, menaces, extorsion, abus d’autorité, attaques physiques et même assassinats. Sur le nombre total d’agressions enregistrées, 70 % se sont produites dans la sphère physique et 32 % dans la sphère numérique, ce qui montre que la défense des droits – en particulier ceux liés à la terre, au territoire et à la justice – est devenue une activité à haut risque.
Parmi les personnes attaquées, on trouve principalement des membres d’organisations civiles (69 %), suivis par des activistes indépendants, des journalistes, des leaders communautaires et religieux. Les principaux agresseurs sont des acteurs non identifiés, bien que des institutions gouvernementales, des forces de sécurité et des groupes criminels organisés aient également été identifiés.
Au moins quatre défenseur.e.s des droits humains ont été tués en 2024, dont le père Marcelo Pérez Pérez, assassiné le 20 octobre à San Cristóbal de Las Casas. Reconnu pour son travail en tant que prêtre maya Tsotsil, le père Marcelo était une figure de proue de la construction de la paix, de la défense de la terre et du territoire, et de la résistance civile pacifique face à la violence.
Le rapport Obse dénonce également des tendances et des préoccupations : l’expansion des grands projets d’infrastructure et des conflits socio-environnementaux associés; l’augmentation de la violence de genre ; les politiques migratoires plus restrictives ; les violations des droits humains à l’encontre des migrants ; la militarisation du territoire ; l’utilisation de technologies de surveillance par l’État et les groupes criminels ; la criminalisation de la protestation sociale ; et la stigmatisation des jeunes, en particulier des peuples indigènes. À cela s’ajoutent les déplacements forcés sans conditions de retour dignes, les attaques contre les journalistes et l’impunité persistante pour les violations commises par les forces de sécurité.
El Obse représente un effort collectif pour articuler une réponse face à la violence croissante au Chiapas. Il naît de la nécessité urgente de rendre visibles les agressions contre les défenseur.e.s des droits humains, dans un contexte où le silence et l’impunité prédominent.
La plate-forme est un outil de protection et de mémoire, construit par des organisations qui sont confrontées à des risques quotidiens dans le cadre de leur travail. Son existence renforce le droit de défendre les droits et contribue à la consolidation de la mémoire collective.
Dans son article intitulé « L’observatoire du Chiapas : une réponse communautaire de documentation face à la violence », l’organisation HURIDOCS, qui a contribué au développement de la plate-forme, souligne : « Le développement de ’El Obse’ démontre le rôle fondamental de la collaboration et de l’action collective pour relever les défis uniques auxquels les défenseur.e.s des droits humains et les défenseur.e.s du territoire sont confrontés au Chiapas. Grâce à des partenariats continus et au renforcement des capacités en matière de pratiques documentaires, le projet continuera d’évoluer pour répondre aux besoins spécifiques des personnes vivant sur ce territoire ».