Activités de SIPAZ (Novembre 2000 – Janvier 2001)
28/02/2001SYNTHÈSE : Actions Recommandees
31/08/2001DOSSIER : Droits et Culture et Indigène: débat juridique ou conflit politique?
Les Accords de San Andrés, signés le 16 février 1996 entre l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN) et le gouvernement fédéral d’Ernesto Zedillo, contiennent les résultats de leurs négociations sur le thème des Droits et de la Culture Indigène. En novembre de cette même année, les deux parties se sont mises d’accord pour que la Commission pour la Concorde et la Pacification (COCOPA, (1) ) prépare un projet de loi qui permettrait d’intégrer les dits Accords dans la Constitution. L’idée était que les deux parties accepteraient complètement ou pas le projet de loi sans aucune observation ni correction, ou qu’ils le rejetteraient.
En décembre 1996, l’EZLN a accepté ce projet qui présente des suggestions visant à reformuler les articles constitutionnels 4, 18, 26, 53, 73, 115 et 116. Le gouvernement en revanche a proposé des modifications qui altèrent de manière substantielle la proposition de la COCOPA. En janvier 1997, l’EZLN a accusé le gouvernement d’avoir rompu le processus accordé en proposant une proposition alternative et de ne pas avoir rempli les conditions posées par les zapatistes lorsqu’ils s’étaient retirés de la table des négociations en septembre 1996 (démilitarisation, désarmement des groupes paramilitaires, libération des prisonniers politiques zapatistes et respect des Accords de San Andrés, (2)). Il a fallu attendre jusqu’à l’investiture du président Vicente Fox du Parti d’Action Nacionale (PAN) pour qu’apparaissent les premiers signes d’espoir quant à une possible reprise du dialogue.
Un nouveau président
Quelques jours avant sa prise de pouvoir, le 5 décembre 2000, le président Fox a présenté la proposition de la COCOPA au Sénat. Cependant, ce n’est que jusqu’au moment de la ‘Marche pour la Dignité Indigène’ (3) en février-mars 2001, lorsque 24 représentants de l’EZLN ont parcouru une grande partie du pays, que le thème a pris de l’importance.
Le 28 mars 2001, le Congrès de l’Union par le biais des différentes Commissions concernées a reçu la délégation zapatiste et des délégués du Congrès National Indigène (CNI) pour que ceux-ci s’expriment sur l’importance de l’approbation de la proposition de la COCOPA.(4)
Arguments en faveur du projet de loi de la COCOPA
Un des principaux arguments en faveur du projet de la COCOPA pour convertir en lois les Accords de San Andrés, c’est que le pouvoir exécutif antérieur (Zedillo) ainsi que l’actuel (Fox) s’y sont compromis avec le soutien et la participation des représentants du pouvoir législatif qui formaient la COCOPA. Selon le député Batres Guadarrama du Parti de la Révolution Démocratique (PRD), « c’est la parole des uns et des autres, parole donnée qui doit être respectée ; il serait absurde que comme Congrès nous approuvions une loi qui appelle les deux parties à négocier et qu’ensuite nous ne reconnaissions pas les conclusions auxquelles ils sont parvenus. « (Congrès, le 28 avril 2001).
D’autres soulignent que les Accords de San Andrés et le projet de loi répondent aux revendications historiques des peuples indiens. Ils soutiennent encore que les Accords cherchent à établir une nouvelle relation entre l’Etat mexicain et les peuples indiens ; que dans la pratique, on ne peut pas démontrer que l’autonomie porte préjudice à l’unité nationale ; que les droits collectifs sont pratiquement absents dans la Constitution alors que c’est un concept fondamental de la vision indigène ; et que les Accords de San Andrés et la loi COCOPA sont une condition de base pour passer de la simulation à une véritable reconnaissance des droits indigènes.
Le Ministre de l’Intérieur, Santiago Creel, soutient qu’il ne s’agit pas de «faire une nouvelle Constitution politique car l ‘actuelle a permis l’alternance politique et la modernisation du pays, mais qu’il faut la moderniser pour l’adapter à la réalité actuelle du Mexique, dépasser les contradictions qui existent dans certains de ses articles». (La Jornada, 27/03/01, p .3).
Arguments contre le projet de loi COCOPA
Ceux qui s’opposent à l’approbation du projet de loi disent qu’il conduira à la balkanisation du pays. Que « seulement » 10% de la population est indigène et qu’à l’intérieur de ce groupe, beaucoup moins sont zapatistes. Certains juristes et politiciens soutiennent que les droits indigènes sont suffisamment protégés dans la Constitution telle qu’elle est. Que la reconnaissance des us et coutumes pourrait légitimer la discrimination contre les femmes indigènes et l’expulsion des indigènes protestants.
Une des critiques ou avertissements que l’on entend sur le projet a trait à la reconnaissance que la loi COCOPA propose en matière des dits us et coutumes indigènes. Les critiques soutiennent que tous les us et coutumes ne doivent être revendiqués ou ne sont souhaitables pour la société, vu que traditionnellement il a existé chez eux des aspects négatifs comme la discrimination à l’encontre de la femme, l’intolérance religieuse ou vis à vis du pluralisme politique. Certains avertissent ainsi que faire apparaître l’idée de respect et de reconnaissance des us et coutumes indigènes dans le texte constitutionnel peut conduire à une légitimation et même à une augmentation de la discrimination à l’encontre des femmes indigènes, ainsi que des expulsions d’indiens protestants de la part des catholiques traditionalistes.
Le Centre des Etudes Fiscales et Législatives (CEFIL), un groupe qui représente plusieurs entreprises du secteur privé, a prévenu que l’approbation du projet de loi COCOPA tel quel limiterait l’investissement dans les zones habitées par des groupes ethniques. Une analyse intitulée « La tribune du Congrès » observe que l’autonomie et les lois propres aux peuples indigènes «aurait comme conséquence la création de petits états indépendants» au Mexique. D’après eux, ces lois laisseraient les indiens soumis à la tentation de mettre en place «un type de socialisme, un système de coopératives, une tyrannie déguisée », ou appliquer des «impôts qui ne soient pas proportionnels ni équitables» (La Jornada , 28/03/01, p. 8).
L’assesseur du bureau pour les Peuples Indigènes de la Présidence de la République (qui dirige aussi l’Institut Indigéniste Interaméricain de l’Organisation des Etats Américains, OEA), José de Val, remet en cause le fondement légal des Accords et le projet de loi de la COCOPA , parce qu’ils ont été rédigés et signés à un moment où l’on simulait des accords et parce que les discussions « ne se firent pas en toute liberté ». Il souligne : « la limitation de l’autonomie aux peuples [indiens] fait que l’on peut douter de ce que veulent les indiens avec la nature de l’autonomie : rompre la colonne vertébrale du fédéralisme mexicain ». (La Jornada, 28/03/01, p.10)
L’EZLN répond aux critiques
Dans son discours devant le Congrès de l’Union, la Commandante Esther a fait remarquer: « On accuse ce projet de loi [de la COCOPA] de balkaniser la pays, mais c’est oublier que le pays est d’ores et déjà divisé. […] On accuse ce projet de créer des réserves indiennes, mais l’on oublie que nous, les indiens, vivons de fait en marge de la société. […] On accuse ce projet de promouvoir un système légal achronique, mais l’on oublie que le système actuel promeut seulement la confrontation, qu’il punit le pauvre et donne impunité au riche, qu’il condamne notre couleur et transforme notre langue en délit. On accuse ce projet de créer des exceptions dans la façon de faire de la politique, mais l’on oublie qu’actuellement celui qui gouverne ne gouverne pas: il transforme son poste de fonctionnaire en une source de richesse personnelle et il sait qu’il restera impuni et intouchable tant qu’il restera en place ». (Congrès de l’Union, 28/03/01)
Quant à l’accusation que l’approbation du projet COCOPA conduirait à une plus grande discrimination de la femme indigène, de nombreux groupes indiens ont reconnu que la situation de la femme est un grave problème interne. Ils soulignent pourtant que ce problème n’est pas propre aux indiens et revendiquent la responsabilité de combattre par leurs propres moyens la discrimination à l’encontre des femmes indigènes. Le député Batres Guadarrama, du PRD, manifeste: « Le projet de loi dit de la COCOPA… ne dit pas que l’on reconnaître tous les us et coutumes des peuples indiens. Au contraire, il dit que l’on reconnaîtra ceux qui sont en harmonie avec les droits humains et l’égalité entre les sexes. Ce qu’on demande d’ajouter à ce projet s’y trouve déjà ».(Congrès, 28/03/01). Plusieurs articles du projet soulignent en outre l’obligation de respecter « la dignité et l’intégrité des femmes » (art. 4II) et « de garantir la participation [politique] des femmes en conditions d’équité » (art. 4III).
Bien que le thème de la religion n’apparraisse pas tel quel dans le pojet de loi, plusieurs articles soulignent l’obligation de respecter les garanties individuelles et les droits humains. Les représentants de l’EZLN tout comme ceux du CNI ont répéter leur volonté de travailler assidument pour empêcher que des situations de discrimination ne se donnet ou n’empirent dans les communautés.
Débat juridique ou conflit politique?
La guerre des mots qui a surgi au cours des dernières semaines autour du thème des droits indigènes représente un débat justifié, même si il peut aussi ne s’agir que d’une tactique pour gagner du temps de la part de ceux qui s’opposent à la loi. En règle générale, il résulte qu’il n’y a pas de clarté ou de consensus entre experts juridiques, intellectuels et politiques sur la compréhension juridique des termes employés, et moins encore sur leurs possibles conséquences juridiques. Il reste encore à établir les mécanismes et critères pour l’application de cette réforme, par exemple dans le cas d’une communauté indigène où les femmes et les protestants sont sujets de discrimination.
Manuel Camacho Solis, le premier représentant gouvernemental pour le Dialogue avec l’EZLN, souligne que le problème fondamental est politique et non pas de technique juridique. Il prévient qu’il faudra décider entre une loi indigène avec des imperfections ou bien une loi parfaite en termes juridiques mais qui ne bénéficiera pas du soutien de la population. Il fait remarquer « la nécessité de concevoir cette loi avec la vision de ceux qui ont promu les grandes lois mexicaines qui ont changé le destin du pays. Ces lois furent le résultat d’une vision politique et du soutien d’une lutte politique populaire, et non pas du talent des professionnels de droit ». (La Jornada, 28/03/01)
La paix…
Le Mexique vit une époque de grand dynamisme politique et social. Il n’y a pas le moindre doute que d’autres changements sont à venir. Certains changements importants sont visibles : par exemple, le fait que les représentants de l’EZLN et du CNI ont réussi à regrouper autant de voix différentes en faveur de l’approbation de la loi COCOPA, depuis les partis politiques, les organisations sociales, les moyens de communication, certains secteurs de la société civile jusqu’au pouvoir Exécutif et au peuple mexicain en général.
Entre temps, il existe plusieurs types d’interprétations qui permettent d’expliquer l’opposition au projet de loi. Certains expliquent qu’elle s’explique en fonction d’intérêts économiques, de la peur, du racisme, du manque d’information ou de la manipulation de celle-ci. D’autres insistent sur la justesse des préoccupations déjà mentionnées, comme la balkanisation, les droits individuels, etc. D’autres encore soulignent la nécessité de discuter le projet de loi avec beaucoup de précision, permettant ainsi aux différents acteurs de donner leur opinion sur le thème. Quel que soit le cas de figure, les opinions les plus conservatrices semblent avoir trouvé un contrepoids qui, du fait de sa légitimité croissante et de son amplitude et au travers de ses luttes pacifiques et de sa persévérance, s’est transformé en un interlocuteur qui ne pourra être négligé.
Reconnaître les Droits et la Culture Indigène depuis le projet COCOPA et uniquement depuis celui-ci est une action directe en faveur du processus de paix et une avancée significative pour faire face à autant de siècles de marginalisation, de pauvreté et d’injustice, une réalité douloureuse que des millions d’indiens mexicains vivent au quotidien.
Les Accords de San Andrés
Les Accords de San Andrés ont été présentés auprès du Congrès sur la base du projet de réforme constitutionnelle élaboré par la COCOPA. Ce projet doit passer par les Commissions appelées à donner une opinion préalable sur le thème avant d’être approuvé par le Sénat et la Chambre des Députés. Une fois approuvé, le Ministère de l’Intérieur lance un appel aux Congrès locaux des 30 états qui conforment le Mexique pour qu’ils votent à leur tour. Si elle obtient une majorité en sa faveur, la réforme constitutionnelle sera prête pour être traduite en lois secondaires et règlements officiels.
Les Accords, traduits dans le projet de réforme constitutionnelle de la COCOPA, partent de la reconnaissance du caractère pluriculturel de la nation mexicaine et des Peuples Indiens comme sujets de droit (5). A l’échelle municipale, ils impliquent la reconnaissance des communautés indigènes comme entités de droit public (versus droits individuels).
Les droits indigènes (6) reconnus se basent sur le droit à l’autodétermination des peuples qui s’expriment par le biais de l’autonomie dans son sens le plus large. De l’exercice de cette autonomie découlent les droits suivants:
- décider des formes internes de vie en groupe et d’organisation ;
- appliquer leurs systèmes de normes dans la régulation et la résolution de leurs conflits internes ;
- renforcer leur participation et leur forme de représentation ;
- accéder de manière collective à l’usage et à la jouissance des ressources naturelles dans leurs terres et territoires ;
- préserver et enrichir leurs langues et cultures ;
- acquérir, mettre en œuvre et administrer leurs propres moyens de communication ;
- participer et être pris en compte dans les plans et programmes de développement selon leurs besoins et spécificités culturelles ;
- s’associer librement (communautés et municipalités) pour coordonner leurs actions ;
- définir leurs formes d’élection et de gouvernement interne dans les municipalités et communautés.(7)
En contrepartie, il est établi que l’Etat (au niveau national, étatique et municipal) devra promouvoir le développement équitable et durable des Peuples Indiens, l’éducation bilingue et interculturelle (par le biais de programmes dont le contenu sera régional et défini après consultation avec les Peuples Indiens) et le combat contre toute forme de discrimination.
Garantir l’accès des Peuples Indiens à la Juridiction de l’Etat en prenant en compte leurs pratiques juridiques et culturelles et en les accompagnant en tout moment d’interprètes et de défenseurs qui connaissent leurs langues et leurs culturelles est une autre obligation de l’Etat. A l’échelle municipale, l’Etat doit s’assurer du transfert des ressources, fonctions et facultés aux municipalités et communautés indigènes
- 1. Commission de soutien à la médiation, formée de députés et sénateurs des 4 partis représentés au sein du Congrès de l’Union, mis en place en mars 1995. (Return)
- 2. Pour plus de détails sur le processus de paix entre 1997 et 1999, voir l’article ‘Processus de paix, processus de guerres’ (Return)
- 3. Voir le bulletin spécial du SIPAZ sur la Marche Indigène: www.sipaz.org (Return)
- 4. Réunion de travail des Commissions Unies sur les Points Constitutionnels et les Problèmes Indigènes de la Chambre des Députés du Haut Congrès de l’Union, avec les délégués de l’EZLN et du CNI, le 28 mars 2001. Pour obtenir le texte intégral de la réunion, consulter(Return)
- 5. Définition des Peuples Indiens: « … ceux qui descendent des populations qui habitaient dans le pays avant l’époque de la Conquête et la mise en place des frontières actuelles, et qui, quelle que soit leur situation juridique, conservent leurs propres institutions sociales, économiques, culturelles et politiques, ou une partie de celles-ci. » (Return)
- 6. Synthèse élaborée à partir d’un document de SERAPAZ (Services et Conseil pour la Paix) (Return)
- 7. Pour plus de détails, consulter les pages Web du SIPAZ ou CIEPAC (Return)